La Russie serait-elle passée maître dans l’art de cultiver le paradoxe ? C’est du moins ce qu’en pense l’Europe en général et la France en particulier.
Qui douterait en effet que, malgré une méfiance affichée à l’encontre de tout ce qui vient de l’étranger, cet Etat-continent cherche à se faire une place, et non des moindres, dans le concert des autres nations.
Depuis l’explosion de l’URSS et les crises successives que connut l’Occident, la Russie a décidé de tourner la page en faisant fi des idées libérales venues de l’Ouest et dont s’inspirèrent les théoriciens du socialisme et du marxisme. Ainsi, s’est-elle déterminée de façon autonome dans le choix de la voie à suivre pour définir son développement selon ses propres critères.
Selon la presse européenne, l’inspiration d’une telle politique, à savoir la constitution d’un cartel avec la Chine, l’Inde, le Brésil et le monde musulman[1], serait à rechercher dans l’incompréhension de l’Occident et le tropisme asiatique des russes, manière, pour eux, de faire payer ceux qu’ils tiennent pour responsable de l’ostracisme dont ils ont été l’objet.
Par ailleurs, face aux modèles étatiques occidentaux, la Russie n’est, à l’évidence, pas en mesure de lutter tant qu’elle n’aura pas défini un modèle politique qui lui soit propre. La Russie a besoin de renouer avec son histoire pour définir son propre modèle ; pour l’heure, elle se limite à accuser l’Europe de s’être fourvoyée dans le rationalisme, le protestantisme, la philosophie, l’industrialisme, le système majoritaire, voire les différentes applications de la théorie du genre dans lesquelles l’église orthodoxe voit « les germes de l’autodestruction des sociétés occidentales ».
Malgré la puissance des moyens contemporains de communication et d’information, l’Occident demeure mal informé des réalités russes et, par ailleurs, a du mal à comprendre combien la Russie peut apparaître immuable face à la succession permanente des idées, des modes et des dirigeants occidentaux.
De plus, les Russes n’ont jamais manifesté d’empressement pour négocier avec l’Europe car ils privilégient toujours le bilatéralisme diplomatique. En revanche, l’Occident se doit de reconnaître qu’il n’a jamais défini, sur ce point, une politique claire vis-à-vis de la Russie.
Et pourtant, les analystes occidentaux paraissent, pour nombre d’entre eux, persuadés que, si la Russie rencontre de réelles difficultés pour le développement de sa politique étrangère, elle jouit d’atouts permanents qui lui permettent, en renouant avec son histoire, d’authentiques perspectives géopolitiques.
LES ECUEILS SONT DIVERS
Plusieurs éléments internes et externes interfèrent dans la mise en œuvre de la diplomatie russe. Depuis la fin de l’URSS, la désinformation a changé de camp et la Russie doit faire désormais face à cette nouvelle guerre de l’information qui ne dit pas son nom. La presse occidentale, dans sa quasi-totalité, présente d’emblée la Russie comme un Etat hostile aux droits de l’homme, noyauté par ses Services secrets, aux prises avec un système économique de nature mafieuse, une justice aux ordres de la présidence, une église orthodoxe complice du système…
Le président Poutine est volontiers présenté comme un dictateur sanguinaire, corrompu et « brutal » se situant au centre d’une oligarchie irresponsable et largement gangrénée.
Devant une telle caricature du monde russe, l’Occident ne peut avoir qu’une attitude négative et pratiquer une politique de néo-endiguement. C’est bien évidemment le résultat auquel nous assistons de nos jours. Le problème des visas entre l’Union Européenne et la Russie en constitue une illustration.
Cependant, l’observateur quelque peu objectif se doit d’être circonspect. Le tableau peu reluisant que dressent de la Russie de prétendus spécialistes après de furtives excursions à Moscou et Saint - Petersbourg, ressortit plus de la propagande que de la simple information. Les nombreuses difficultés internes qu’ils mettent en exergue, dont la réalité reste d’ailleurs à démontrer, ne vise avant tout qu’à déformer toujours un peu plus un pays méritant qui s’efforce, au prix de sacrifices sans nombre, à effacer l’image de « puissance pauvre », pour reprendre les termes mêmes de Georges Sokoloff.
La propriété privée resterait encore relativement bloquée par les traditions. La société ne serait pas mûre pour une véritable économie de marché. Elle est dominée par l’économie parallèle et les trafics d’autant qu’il n’existe pas de classe moyenne et que le renouvellement des élites ne serait pas terminé.
La régression démographique entrainerait le dépeuplement rural et la démesure du territoire le rendrait difficile à contrôler. La baisse du produit national depuis 1991(qui remonte depuis 1999 grâce à l’énergie), la limitation de l’initiative privée au petit commerce et à l’artisanat et l’absence de produits compétitifs à l’étranger contribueraient à rendre impossible l’entretien de moyens de défense suffisants.
Il est un fait que l’occidentalisation s’avère plus facile dans les villes que dans les campagnes et que les échanges touristiques et culturels demeurent toujours limités.
Enfin, l’absence de partis organisés donnerait un caractère artificiel à la vie politique. Cette attitude parfaitement négative de l’Occident complique les négociations dans les domaines énergétiques et affaiblit considérablement la coopération Russie – Union Européenne qui se réalise, non pas en fonction de valeurs communes mais d’intérêts communs, ce qui atrophie toute vision stratégique.
Par ailleurs, la problématique, quant à l’avenir de la Sibérie, reste entière dès lors que les relations avec l’Europe et le Sud-Est asiatique ne sont pas suffisamment définies. De même qu’à l’occasion du départ d’Afghanistan des troupes de l’Otan, apparaissent des incertitudes pour l’avenir de cette zone que les Russes connaissent bien.
Les médiations internationales, au cœur desquelles se trouvaient les russes durant ces dernières années, n’ont pu trouver de solutions par manque de consensus entre les protagonistes, au sein desquels se trouvaient, en première ligne, les américains, qu’il s’agisse de la Corée, de la Libye, du Liban, de l’Iran ou de la Syrie. Le même constat peut être fait pour la position russe dans les pays musulmans de l’Asie Centrale qui reste la plupart du temps « incomprise » par les diverses forces en présence dans la zone.
LA DEFINITION DE CETTE DIPLOMATIE REPOND A DES IMPERATIFS PERMANENTS
Avec la fin du communisme, Andreï Kozyrev, Ministre des affaires étrangères de 1990 à 1996, ne ménage pas ses efforts pour définir une nouvelle politique étrangère fondée sur la multipolarité, assortie du développement du bilatéralisme et de l’ouverture aux puissances émergentes non occidentales. Il s’agit désormais de soutenir le droit international, c’est-à-dire celui de l’ONU, pour s’intégrer de la façon la plus parfaite dans la société internationale. La longévité de la durée des mandats des ministres des affaires étrangères et des diplomates russes facilite d’une manière générale la mise en œuvre d’une politique à long terme. Vis-à-vis de l’Union Européenne, le développement de bonnes relations s’est très tôt imposé dès lors qu’il s’agit là du principal partenaire de la Russie (52% du commerce extérieur russe et 70% des investissements étrangers).
La Russie ne prétend pas à l’exclusivité, mais estime que sa puissance est suffisante pour remplir un rôle d’attraction sur l’Europe Orientale face à l’Europe de Bruxelles. Moscou veut être considérée sur un pied d’égalité avec l’Union Européenne, car elle estime faire partie de ce continent sans pour autant en accepter les traités selon le principe de Romano Prodi « tout sauf les institutions ».
Malgré tout, la Russie s’impose en « puissance carrefour » entre l’Europe et l’Asie : elle ne peut accepter les contraintes de l’intégration européenne et ne doit pas négliger le déplacement du dynamisme économique vers le sud-est asiatique. En outre, il est impossible d’ignorer une donnée fondamentale en ce qui concerne le reste du monde : le PIB des BRIC (Brésil Russie Inde et Chine) dépasse celui de l’Europe. C’est là une réalité nouvelle qui conditionne fortement le contenu de la politique extérieure russe.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’Otan, il est évident que la Russie n’a pas vocation à en faire partie mais, ce n’est pas pour autant qu’elle ne souhaite pas affirmer sa souveraineté face à celle-ci. Moscou a préféré la formule pragmatique et originale du « Conseil OTAN-RUSSIE » (C.O.R.), qui permet l’information et le dialogue sur des points de convergence consensuelle ou pas et la coopération stratégique face aux adversaires communs que sont le terrorisme, la piraterie maritime, les trafics de stupéfiants ou la contagion de l’islamisme radical. Les bonnes relations que souhaite entretenir Moscou avec Pékin ne permettent pas une coopération plus étroite, mais le souhait russe de participer à une nouvelle Europe, élargie, impliquent de bonnes relations avec cette puissante organisation.
Divers exercices conjoints améliorent la coopération pratique (logistique, échanges académiques, surveillance aérienne, sauvetage en mer…), mais n’aboutissent pas encore à des perspectives d’accord en matière de cyber guerre et, a fortiori, quant au lancinant problème du bouclier antimissile, notamment, sur lequel le désaccord reste entier.
D’une façon générale, le consensus avec l’Ouest se limite pour le moment à la lutte antiterroriste et aux échanges énergétiques, dans la mesure où nombreux sont les Russes qui considèrent que l’Occident a payé son progrès scientifique et technique par un appauvrissement idéologique et religieux. Les échos que donnent les médias occidentaux aux réalités de la Russie d’aujourd’hui ou les mesures prises pour satisfaire les groupes de pression homosexuels en Europe demeurent pour le moins incompris.
DE PRECIEUX ATOUTS
Malgré des problèmes démographiques réels, quelque peu réduits au cours de ces dernières années[2] , selon le Général de Gaulle, « le principal atout de ce pays, outre ses ressources naturelles, c’est son peuple ». Il est certain que la formation technique de la main - d’œuvre ou le niveau technique des universités n’a rien à envier à l’étranger. La visite des établissements scolaires et universitaires russes ne sont pas sans réserver quelques surprises aux occidentaux, non seulement dans les domaines scientifiques et techniques, mais également dans celui des sciences humaines.
Le facteur religieux, lui non plus, n’est pas à négliger, dans la mesure où l’orthodoxie apporte à la société un consensus et un dynamisme sans doute supérieurs à ceux qui régnaient à l’époque soviétique. La religion est présente dans la plupart des activités sociales et le patriarcat de Moscou – de plus en plus présent et actif en Europe- définit lui-même ce qui est une bonne politique étrangère pour la Russie.
La richesse énergétique assure une indépendance complète au pays (bien que 1% de la population active fournisse 25% du PIB) et le classe comme premier producteur mondial de gaz et second exportateur de pétrole après l’Arabie Saoudite. En suscitant de multiples convoitises et demandes, cette situation exceptionnelle facilite considérablement la mise en œuvre de la politique étrangère tout en apportant de solides réserves de change.
L’armée n’a plus les effectifs et les moyens que lui permettait le système soviétique, mais la fiabilité des personnels et la détention unique, au sein de la CEI, de la force nucléaire par la Russie assurent une politique d’influence particulièrement efficace sur tout le territoire y compris aux marges de l’espace fédéral, qu’il s’agisse de Sébastopol, de l’Ossétie, de l’Abkhazie, de la Transnistrie, de Kaliningrad ou de l’extrême orient sibérien.
Les 25 millions de citoyens que compte environ la diaspora russe fournit un appoint considérable à la diplomatie russe. On peut voir là en quelque sorte le développement d’une méthodologie originale consistant à utiliser la présence de citoyens russes lorsque cela est opportun pour contrer certaines « activités de forces extrarégionales » (Serguei Lavrov), c’est-à-dire émanant d’acteurs n’appartenant pas à l’espace postsoviétique et pouvant se révéler dangereux. Pour parvenir à se maintenir face aux anciens pays frères, Moscou n’hésite pas à avoir recours au soft power par le biais de la culture, sans exclure l’usage de la force (en Géorgie, par exemple) quand les circonstances l’exigent ou même de faire appel aux représailles économiques, voire la distribution de passeports ou encore à la nuisance que provoque la reconnaissance de quasi-Etats comme en Transnistrie, notamment. Ces situations constituent en quelque sorte des « points thermomètres » permettant de mesurer la température de l’intensité des relations avec Moscou, qu’il s’agisse de Tiraspol, Tsinkhval ou Soukhoumi.
UNE NOUVELLE EUROPE DE BREST A VLADIVOSTOK
La première des priorités de la diplomatie russe demeure plus que jamais l’augmentation de son influence sur les pays de l’ « étranger proche », qui repose sur l’acquis soviétique en essayant d’optimiser les conflits périphériques tout en développant de bonnes relations avec l’Europe .La Russie considère avoir des responsabilités et des droits à l’égard des pays voisins où vivent d’importantes minorités russes, ce qui justifie, entre autres, les opérations de maintien de la paix par Moscou.
Européens et Américains ne souhaitent évidemment pas que « l’étranger proche »[3] soit la chasse gardée des russes, bien que Moscou reste attachée au respect de toutes les frontières existantes malgré les aspirations autonomistes de certaines régions (Crimée, Transnistrie…)
Depuis la fin de l’URSS, les pays d’Europe Centrale et de l’Est cherchent à mettre sur pied une zone de libre-échange, considérant que le modèle européen établi par Jean Monnet, n’est plus de mise car incompatible avec les économies nationales. Le président Poutine préfère traiter avec les Etats estimant que l’Union Européenne est une entité dépassée, avec une monnaie fragile, de graves disparités économiques, une gouvernance faible et une absence de valeurs communes .De fait, les critères de l’U.E . ne seraient pas tous satisfaits par la Russie avant plusieurs années. Il convient dès lors de mettre au point un nouveau modèle applicable éventuellement à une zone s’étendant de « Brest à Vladivostok» (Vladimir Poutine). Les européens n’ayant pas proposé un modèle impliquant la Russie et les ex - pays satellites dans ce système, il convient d’en proposer un autre [4]. Les responsables économiques russes, ne parvenant pas à définir la nature des relations avec l’Union Européenne, suggèrent l’idée d’un espace économique commun entre la Russie, l’Union Européenne et d’autres pays, une alliance nouvelle, de nature à former un pôle économique et commercial susceptible de faire face aux défis chinois et américains.
De fait, si la Russie ne parvient pas à faire face à l’attractivité que présente l’Union Européenne dans l’espace post-soviétique, ses positions se trouveront considérablement diminuées. Les stratégies européennes de Poutine visant à un système de sécurité après la disparition des alliances actuelles reprend en quelques sortes l’idée de « maison commune » chère à M. Gorbatchev.
Ce dernier envisageait en effet, une sorte de confédération comprenant, avec l’Union Européenne et la Russie, l’Ukraine, la Moldavie, la Transcaucasie et la Turquie. Bien que déçus par les politiques occidentales visant à les isoler et les affaiblir, nombreux sont les Russes qui continuent à rêver d’une « Grande Russie » au sein de laquelle les indépendances de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie seraient inenvisageables.
La Russie accepte ses nouvelles frontières, mais refuse un entourage d’Etats contrôlés par les Etats-Unis, en établissant un cordon sanitaire la protégeant à la fois des Etats-Unis et de la Chine, voire de la Turquie et de l’Iran. La Russie a, en fait, toujours eu des difficultés à délimiter son espace.
Dès que les progrès économiques de la Fédération lui ont ouvert la voie, Vladimir Poutine a réaffirmé cette conception diplomatique comme il l’a fait à plusieurs reprises pour les populations non russes majoritaires ou minoritaires de son pays [5], dans le Nord Caucase ou bien au coeur de la Fédération.
La politique russe vis-à-vis des anciennes Républiques Soviétiques n’est pas uniforme et varie selon l’importance de l’engagement russe. La nature des relations bilatérales avec la Moldavie ou la Biélorussie vers un rapprochement toujours plus grand n’ont, par exemple, aucun rapport avec la politique menée à l’égard de l’Ukraine et des pays proches de l’Union Européenne ou avec ceux du Caucase et de l’Asie Centrale ou encore avec le grand projet relevant du traditionnel tropisme russe pour le grand Est .
L’espace économique unique au sein de la Communauté Economique Eurasiatique créée en 2000 avec le Kirghiztan, le Tadjikistan et l’Ukraine, ainsi que la Moldavie et l’Arménie, comme observateurs entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan[6], est devenu une union douanière le 1er juillet 2011 dont le Président Poutine souhaite ouvrir l’accès à tout Etat de la CEI. Cette coopération régionale s’est poursuivie en matière de sécurité dans le cadre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) qui prévoit en particulier une procédure de consultation dans l’éventualité où l’un des Etats, non - membre, installerait des structures militaires dans un pays de l’Organisation. Ne serait-ce que pour des raisons de prix des ressources énergétiques, la Russie paraît présenter davantage d’intérêts que l’Union Européenne pour les pays de la zone à l’heure où cette dernière rencontre de graves difficultés économiques et financières. La Russie ne s’est d’ailleurs pas privée de montrer qu’elle était capable de concurrencer l’Union Européenne en ayant recours aux armes financières, économiques ou commerciales dont l’embargo sur les vins géorgiens et non pas abkhazes .
De plus en plus influente en Biélorussie, la Russie demeure attractive du point de vue économique : les tarifs énergétiques y sont deux fois inférieurs à ceux de l’Ukraine et quatre fois inférieurs à ceux de l’Europe. La coopération avec la Russie assure un fonctionnement satisfaisant au secteur militaro-industriel. Par contre, les Biélorusses ne semblent pas souhaiter une fusion [7] entre les deux Etats car ils considèrent que leur niveau de vie est plus satisfaisant [8].
Même s’ils entretiennent quelques réserves à son égard, les Russes continuent de soutenir Minsk pour éviter tout risque de révolution de couleur. De plus, le gaz vers l’Europe transite par la Biélorussie et l’accès à Kalinigrad passe également par le Bélarus.
La crise actuelle de l’Union Européenne semble orienter l’intérêt de la Biélorussie et de l’Ukraine vers la Russie, mais Kiev reste toujours relativement réservée malgré le gel des relations avec l’UE, notamment à la suite du procès de Mme Timochenko.
Kiev n’arrive toujours pas à se déterminer entre l’Union douanière que Moscou[9] a mise en place et la zone de libre - échange complet que lui propose, pour commencer, Bruxelles dans le cadre d’un accord d’association. Même si Kiev soutient que l’accord d’association reste limité et n’entrainera pas l’adhésion, le choix est difficile car les membres de l’Union Douanière menacent l’Ukraine de sanctions dans l’éventualité d’une adhésion de cette dernière à l’U.E. Poutine a même déclaré, le 22 août 2013, que l’Union Douanière serait obligée de prendre des mesures de protection si l’Ukraine signait un accord d’association avec l’U .E. Les relations de l’Ukraine avec Moscou surprennent souvent et font penser à celles d’un fils envers son père. Les relations sont certes la plupart du temps intenses mais vides de contenu. Il se trouve que les richesses naturelles se situent principalement en Ukraine orientale et en Crimée où les Russes sont majoritaires, élément qui compte pour beaucoup dans la géopolitique de ce pays. Il reste que, pour les Russes, l’Ukraine tout autant que le Kazakhstan demeurent des partenaires indispensables à la réussite de l’Union douanière et à l’équilibre démographique général entre slaves et musulmans. D’un point de vue politique, Moscou souhaite le statu quo, c’est-à-dire le maintien d’un régime du même type qu’en Russie, et non pas d’une occidentalisation du système telle qu’elle aurait pu résulter de la réussite de la révolution de velours.
Un changement du régime politique en Ukraine aurait sans doute une influence certaine sur les autres Etats du voisinage commun qui observent l’évolution des relations russo-ukrainiennes avec un grand intérêt dans la mesure où elles constituent une sorte de test de la situation de la diplomatie russe dans « l’étranger proche ».
Les nombreuses rencontres au niveau présidentiel ou gouvernemental n’aboutissent pas à des résultats significatifs. La Russie, qui fournit 60% de son énergie à l’Ukraine, persiste dans sa stratégie de contournement pour le transit du gaz vers l’Union Européenne, ce qui pourrait entraîner une remise en question de son passage par l’Ukraine.
Alors que l’Occident se montre désormais moins pressé à soutenir Kiev vers l’indépendance, l’économie nationale reste préoccupante : l’inflation persiste, l’économie stagne, les privatisations sont reportées, les services publics souffrent des insuffisances d’investissements… L’Ukraine orientale et la Crimée ont des velléités de séparatisme mais Kiev refuse la mise en place d’un système fédéral.
En Moldavie, le sentiment pro-européen baisse sans doute à cause de la mise à l’écart de la candidature moldave par l’Union Européenne et du fait des nouvelles perspectives que laisse entrevoir l’Union eurasiatique. Le sort de la Moldavie est en fait lié à celui de l’Ukraine qu’il s’agisse de l’appartenance à l’Union Douanière au bien à l’Union Européenne. En fait, la question de la Transnistrie et de la Gagaouzie, ainsi que les médiocres relations avec la Roumanie, laissent peu de marge de manœuvre à Chisinau. La pratique grandissante de la langue russe dans l’ensemble du pays donne à penser que le tropisme russe prédomine bien que Chisinau ait annoncé, à la mi-novembre 2012, son refus de l’ouverture d’un consulat russe tant que le problème transnistrien ne serait pas résolu.
DES TENSIONS CHRONIQUES DANS LE CAUCASE ET UN RETOUR RUSSE EN ASIE CENTRALE:
Certes, les Jeux Olympiques de Sotchi en 2014 sont censés apporter à l’Abkhazie un puissant ballon d’oxygène. Or, aurait-on oublié que ces deux minuscules pays que représentent l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, maintenus dans l’Union au prix d’âpres et de longs conflits avec la Géorgie, logistiquement appuyés par les USA, ne sont, à ce jour, reconnues que par la Russie, sous la juridiction du gouverneur de Krasnodar, et quelques rares Etats hors CEI. « Dieu prodigue ses biens à ceux qui font vœu d’être siens » écrivait le sage Jean de La Fontaine (le rat qui s’est retiré du monde). Dans de telles conditions, la communauté internationale ne saurait allouer des crédits à des Etats ne faisant pas partie de son camp. Compte-tenu de la conjoncture actuelle, qui prive de toute garantie ces deux enclaves, on ne voit pas de puissances financières se déterminer à favoriser les investissements et le tourisme malgré l’attirance suscitée par des terres généreusement baignées par la Mer Noire. Les popes ont fait leur choix : ce sera Dieu ou Mammon.
A la suite des changements survenus lors des dernières élections législatives et présidentielles, une plus grande clarification est attendue quant à l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN.
Pour ce qui est de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN provoque des réserves auprès des Etats membres de l’Union Eurasiatique (craignant sans doute un fâcheux précédent pour ce qui les concerne) alors que l’UE, bien que diligentant une mission permanente en Géorgie, fait comme si ces deux anciennes républiques soviétiques n’existaient pas.
Néanmoins, dans cet imbroglio généré par l’implosion de l’URSS, le cas de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie nécessite beaucoup de diplomatie de la part de Moscou. La croissance économique exceptionnelle dont jouit l’Azerbaïdjan en raison de ressources énergétiques très importantes, permet à ce pays de recourir à une diplomatie relativement indépendante, ce qui n’est pas sans déplaire aux Etats-Unis et à l’UE. Toutefois, le Kremlin, consciente du danger occidental dispose de plusieurs cordes à son arc vis-à-vis de ce pays qui reste un bon client.
En outre, la situation conflictuelle dans le Haut - Karabagh offre à Moscou un puissant levier pour influencer la politique azerbaïdjanaise. En janvier 2012, le Président Medvedev a organisé une rencontre, à Kazan, entre les Présidents arménien et azerbaïdjanais pour tenter une médiation mais les Russes ne peuvent décevoir l’Arménie qui reste leur allié traditionnel. C’est ainsi que la présence militaire russe sur le sol arménien a été prolongée jusqu’en 2014 pour éviter tant l’embrasement du Haut - Karabagh que pour tenter de persuader l’Arménie de rejoindre l’Union Douanière.
Autre cas de figure, non moins délicat, avec les cinq républiques musulmanes d’Asie Centrale qui totalisent plus de 50 millions d’habitants. Avec la Glasnost, elles se sont rendues compte que l’Union Soviétique les faisait vivre tandis que les fleuves se vidaient, qu’elles n’avaient pratiquement aucune richesse (monoculture du coton, pas d’industries, situation écologique critique) et une démographie galopante. Le capitalisme est apparu comme une terrible menace pour elles. En outre, elles sont isolées et leur sécession apparaissait plus dangereuse qu’avantageuse. Elles ont donc signé le 14 Août 1991, à Tachkent un accord indépendant de coopération pour défendre leurs intérêts régionaux au sein de la CEI.
Quant au retour de la Russie en Asie Centrale, il s’effectue par le biais de la communauté eurasienne créée en octobre 2000[10] à l’initiative du Kazakhstan. Elle complète l’Union Douanière jusque-là en vigueur entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Moscou est parvenu à garder le contrôle des hydrocarbures dont 90% des exportations vont vers la Russie. Mais face au « colossal potentiel offensif de l’Otan » selon E. Primakov, à la montée en puissance chinoise (bien plus sensible ici qu’en Extrême-Orient), au départ des Américains d’Afghanistan et aux risques militaires en Syrie et en Iran, le gouvernement russe cherche à constituer un glacis pour assurer sa propre protection. Le chaos syrien n’est pas de nature a rassurer Moscou compte tenu de la diplomatie turque, de la présence des républiques musulmanes du sud de la Russie avec les incertitudes de l’évolution tchétchène et l’organisation des prochains jeux olympiques de Sotchi. Les Russes présents à Damas ont pu lire sur les murs de la capitale le slogan suivant résumant la situation : »
Aujourd’hui à Damas, demain à Moscou ».Pour faire face à ce risque d’instabilité l’Union Economique eurasienne ou eurasiatique, dont la finalisation est prévue pour l’horizon 2015, est le prolongement de l’intégration déjà engagée entre la Russie et plusieurs pays de l’ancienne URSS.
Les relations avec les Américains, présents dans la zone, achoppent la plupart du temps sur des problèmes de gouvernance que les Russes mettent à profit pour développer des relations nouvelles avec leurs anciens pays frères de l’Union Soviétique par le biais de méthodes diverses relevant souvent du soft power n’excluant pas la distribution de passeports ou la reconnaissance de quasi-Etats.
UNE DIPLOMATIE QUI SE DEPLACE VERS LA ZONE ASIE-PACIFIQUE :
Dans les années 80, M. Gorbatchev initia une offensive de charme : « de nos jours, notre diplomatie est en train de se déplacer de l’Occident vers la zone Asie-Pacifique ».
Traditionnellement méfiante à l’égard de la Chine, la Russie a pris conscience que plus de 150 millions de Chinois peuplent les seules provinces de Heilongjiang et de Jilin, sans parler de ceux qui vivent en Sibérie, ce qui représente un nombre total bien supérieur à la population de toute la Sibérie. Dans l’extrême –Orient russe, la situation est d’autant plus sensible que ce secteur, le tiers du territoire russe n’atteint pas 7 millions d’habitants.
Imaginons que Taïwan ou Hong-Kong interrompent toutes relations avec la CEI, compte-tenu de l’ouverture des frontières, le bouleversement des flux commerciaux serait tel que l’on se trouverait de fait dans une zone de libre-échange même si certains handicaps persistent sur ce tableau.
Par ailleurs, si la Russie a réussi à régler ses problèmes frontaliers avec la Chine, il n’en n’est pas de même avec le Japon. Outre le contentieux russo-japonais au sujet des quatre îles Kouriles méridionales occupées par les Russes depuis 1945 et la concurrence effrénée que se livrent Chinois, Japonais et Coréens du sud pour s’implanter dans la zone, les risques de conflits ne sont pas écartés pour autant.
Il est certain que la Russie dispose d’atouts précieux qui font dire à V. Poutine qu’il faut « gonfler l’économie russe avec le vent chinois… surtout à une époque où le réchauffement climatique annonce des jours meilleurs pour la Sibérie ».
A l’hostilité idéologique, aggravée par la compétition politique auprès des partis communistes nationaux durant la période soviétique a succédé un partenariat diplomatique reposant sur une unité de vue stratégique entre Moscou et Pékin.
Les deux puissances, bien que très différentes, sont de ce fait contraintes à partager la même ligne du monde multipolaire et ont aisément et rapidement admis que l’équilibre des zones Asie-Pacifique, Asie Centrale et Moyen-Orient dépendent essentiellement de la capacité des deux partenaires à procéder à des analyses communes face à deux rivaux importants que sont les Américains et les islamistes alors que les analyses chinoises et russes sur l’avenir de la Syrie sont très proches.
Les relations entre Russes et Chinois ont été facilitées par le passé, les rapports s’étant toujours effectués par voie terrestre et sans rupture maritime, ce qui n’est pas le cas des relations avec le monde anglo-saxon. A l’évidence, la Chine n’est pas un partenaire de circonstance dans la mesure ou cette alliance résulte s’une action murement réfléchie reflet d’une vision à long terme.
Inquiète de la percée américaine en Asie Centrale et du désengagement occidental en Afghanistan, sous la pression islamique et la stagnation de la situation dans la péninsule coréenne et des instabilités résultant des évolutions arabes, la Chine voit désormais dans la Russie un élément de grande stabilité. C’est dans cet esprit que l’Organisation de Coopération de Shanghaï (O.C.S.) fonctionne depuis 1993. Pékin juge la politique américaine dangereuse dans la mesure où elle affaiblit la position russe.
C’est dans ce contexte diplomatique que le président Medvedev a signé, en 2009, un traité instituant un « programme de coopération entre les régions orientales de la Russie et le Nord de la Chine pour les années 2009-2018 » et que la Russie a pu réunir les pays membres de l’APEC à Vladivostok en septembre 2012 alors qu’elle était restée à l’écart de cette organisation (créée en 1989) jusqu’alors.
Tirant les conclusions de l’adhésion de son pays à l’OMC en 2012, le Président Poutine a présenté les perspectives les plus larges en souhaitant : « une communauté harmonieuse d’économies entre Lisbonne et Vladivostok », précisant que, à terme, il s’agissait de créer une zone de libre-échange, voire de mécanismes plus sophistiqués, en vue de la création d’un authentique espace économique. Les pays membres de l’APEC ont prévu qu’une zone de libre-échange pouvait fonctionner en 2020. Entre-temps, il convient d’imaginer un modèle de développement cohérent, intégrant tous les partenaires concernés. Le Président Medvedev s’est montré très explicite sur ce point en reconnaissant ouvertement que : « Si l’on ne travaillait pas activement à développer la Sibérie, on la perdrait » [11].
Le défi est évidemment considérable et les réponses se doivent d’être adaptées. Plusieurs experts de l’Académie des Sciences de Novossibirsk se sont prononcés contre une Sibérie indépendante car, pour avoir une République indépendante, il faut disposer d’un centre fort et autoritaire, ce qui n’est pas le cas de la Sibérie qui, à la différence de l’Oural, ne dispose d’aucun statut. Est-il toujours opportun que Moscou reste la capitale de la Russie ?
Certains ont imaginé de déplacer la capitale de Moscou à Novossibirsk, de créer une sorte d’organisation nouvelle du travail, de promouvoir avec force les industries légères actuellement très insuffisantes, d’investir pour attirer les publics chinois, coréen et japonais. C’est vraisemblablement dans cet esprit notamment qu’a été signé le 7 octobre 2012 l’accord de coopération russo-vietnamien.
D’une façon plus générale, la Russie apparaît comme plus continentale dès lors qu’elle n’a plus d’accès à la Mer Baltique en dehors de Kaliningrad, de Saint - Petersbourg, de Vyborg et d’Oust-Louga et qu’elle a été amputée d’une grande partie de sa côte sur la Mer Noire. La façade pacifique, via le grand-est sibérien apparaît plus que jamais particulièrement stratégique. Cet immense espace oriental qui assurait autrefois la protection de la Russie contre ses voisins est paradoxalement devenu un facteur de fragilité pour la cohérence politique de la fédération russe d’autant que la diaspora russe ne se presse pas pour repeupler l’extrême – Orient.
La lutte s’annonce longue et serrée, mais inéluctable. L’historien a pris acte de la fin de l’empire tsariste et de celle de la « civilisation soviétique ». La CEI ne paraît pas faite pour durer de longues années. Si l’intégration européenne n’est pas envisageable à moyen terme, alors la seule issue possible reste la voie eurasiatique qui apparaîtrait dans ces conditions comme un impératif incontournable. De cette alternative dépendront pour une grande part l’avenir de l’Europe occidentale et, par voie de conséquence, l’équilibre général du monde.
DES RELATIONS FRANCO-RUSSES OFFICIELLEMENT BONNES MAIS DE FAIBLE INTENSITE A CAUSE D’INCOMPREHENSIONS MUTUELLES
Diverses bonnes raisons ont justifié l’entente franco-russe au cours de ces dernières années, ne serait-ce que dans la recherche, par les deux parties, du multilatéralisme. La Russie offre à la France une solution pour établir l’équilibre face à la puissance atlantique. En outre, elle apprécie hautement, à son tour, la précieuse aide française pour la sortir de son isolement. Le général de Gaulle a clairement expliqué que, pour deux puissances nucléaires membres du Conseil de Sécurité de l’O.N.U., il convenait de se rapprocher de Moscou et de prendre son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis.
C’est sur cet élan et dans cet esprit que de nombreux décideurs se sont investis, écartant de ce fait le problème de la Tchétchénie, ce qui n’a pas empêché les investissements français de s’intensifier au point d’atteindre le 5ème rang du classement, devant les Etats-Unis et l’Italie mais après l’Allemagne.
Ce sont en fait les malentendus consécutifs à la réintégration dans l’organisation militaire de l’OTAN, aux diverses promesses non tenues et à l’ambiance généralement russophobe de l’ensemble des médias qui ont « parasité » et provoqué des zones d’ombre, sans omettre une certaine méfiance du côté russe. Certes le président Poutine reste l’indispensable garant de la stabilité russe avec lequel il est de bon de s’entendre mais les « incompréhensions » ont la vie dure. Les difficultés que rencontre l’Eglise Orthodoxe pour la construction d’un centre cultuel à Paris en constituent un exemple.
C’est ainsi que les investissements russes restent insuffisants en France. Il en est de même du nombre d’étudiants (à peine plus de 2500) qui viennent dans notre pays. La langue russe n’est pas plus étudiée en France que le français l’est devenu en Russie. Les investissements français précités sont le fait d’environ 500 grandes sociétés en tout et pour tout, alors que les Allemands comptent plus de 4000 PME implantées pour la plupart dans la zone européenne.
Le tourisme français en Russie ne se limite à de courts séjours à Moscou et Saint Pétersbourg de même que le tourisme russe se limite à Paris et à la Côte d’Azur. Sans doute les efforts touristiques de part et d’autre ne sont-ils pas à la hauteur des enjeux ? La France, par exemple, dispose de trois consulats en Russie et une section consulaire en Ukraine alors que la Russie et l’Ukraine comptent chacune cinq consulats dans notre pays.
Il est certainement difficile d’énoncer toutes les raisons qui expliquent cet état de fait. Sans doute l’intensité de nos liens africains et transatlantiques ou les divergences sur les lendemains des révolutions arabes y sont-elles pour beaucoup, mais les conséquences de cette situation demeurent particulièrement préoccupantes au regard de l’avenir européen.
Somme toute, plus que les occidentaux déstabilisés par le matérialisme et l’hédonisme, les russes attachent une très grande importance à la civilisation et à la culture humaniste procédant du christianisme, ce qui explique leurs conceptions diamétralement opposées aux nôtres en matière de politique étrangère.
Maintenir dans l’Union, des peuples aussi différents et souvent pauvres, tentés en permanence par le chant des sirènes de l’Occident qui, par une propagande effrénée, profite du moindre incident pour déstabiliser une communauté fragilisée par ses membres paradoxalement qualifiés d’indépendants, discréditer son régime et tenter de s’octroyer ses richesses : tel est le souci constant des dirigeants.
Pour faire régner l’ordre indispensable, dans de telles conditions, beaucoup de tact et de circonspection sont nécessaires. Il faut donc, par l’éducation, forger des esprits à partager un idéal commun, des principes de base solides pour éviter les contestations les plus abracadabrantes et les désordres de tout genre, source d’insécurité et de mal- être.
En résumé, à l’extérieur comme à l’intérieur c’est la politique de la main de fer dans le gant de velours qui semble la plus apte à porter ses fruits.
D’ailleurs, dans ses discours, le président Poutine, que les occidentaux taxent volontiers de dictateur d’un autre âge, va droit au but : préparer ses compatriotes à l’idée que la Russie n’appartient pas seulement à la culture européenne telle qu’on la concevait encore dans un passé relativement récent.
Mobiliser par la menace d’une implosion toujours possible, le maître du Kremlin s’oriente vers une nouvelle voie qui reste encore difficile à définir : redonner au pays son âme, celle que le marxisme s’est employé à détruire durant ses soixante treize années de règne. Dans la ligne de Constantin Leontiev qui évoquait la »multiplicité florissante du monde », le président Poutine parle de « complexité florissante « de la Russie. Pour mener à bien semblable tâche, il importe de retrouver les valeurs morales et spirituelles, les vraies codes de bonne conduite, les lois naturelles pour tout dire dont la Russie a le plus impérativement besoin pour renouer avec son passé. Cet éthique, aussi austères qu’en soient les apparences, c’est dans l’orthodoxie soit la façon droite, correcte de voir les choses qu’il faut la chercher et la faire entrer dans les cœurs. C’est toute la métaphysique qui est à revoir. Peut-on consentir à l’Etre sans s’interroger sur la valeur de la connaissance ?
Entre Dieu qui promet à chacun la grâce en ce monde et le bonheur éternel dans l’Autre et Mammon qui, selon Saint Matthieu ( VI , 24), assure aux siens richesse, plaisir matériel sans fin, c’est sur le premier que s’est porté le choix de Vladimir Poutine pour lequel la Russie, désormais fière de son passé, peut désormais se tourner sereinement vers l’avenir.
Paradoxale la Russie ? Comment pourrait-il en être autrement ?
Patrick Brunot - Ancien Maire Adjoint de Bordeaux, Assistant Parlementaire à l'Assemblée Nationale. Docteur en droit, avocat, Patrick Brunot est professeur de droit à l'Ecole des Hautes études Internationales de Paris. Conseiller du Commerce Extérieur de la France. Auteur de plusieurs livres et articles sur l'actualite de la Russie.
Décembre 2013
[1] La zone d’influence géopolitique de la Russie est devenue, en fait, beaucoup plus large que celle de l’Union Soviétique.
[2] La croissance démographique a légèrement repris depuis 2011 .
[3] C’est en 1992 que Kozyrev, ministre des Affaires Etrangères, utilisa la formule pour les anciennes Républiques devenues indépendantes. La CEI incarne cette notion. L’expression remonte au XIXème siècle quand Nicolas II s’opposait à l’auto-détermination. La doctrine Brejnev recouvre le même concept. Il s’agit, de nos jours, des Etats ne relevant pas de la zone d’influence de l’OTAN ou de l’OCS.
[4] « L’Union Européenne a tous les inconvénients d’une fédération sans en avoir les avantages », V. Poutine, 22/10/2012 au Club de Valdaï.
[5] Cf. V.Avioutski, L’étranger de l’intérieur, Hérodote N°104, 2002.
[6] L’Ukraine a été admise en juillet 2013 en tant que membre observateur sans droit de vote.
[7] Le traité de l’Union Slave, signé le 8 décembre 1999, ne prévoit pas la fusion, « Il s’agit d’un traité inachevé » selon le Président Loukachenko.
[8] Un programme de privatisation est en cours.
[9] Le rapprochement rapide entre Kiev et Moscou, lors du prolongement du bail de la base navale de Sébastopol jusqu’en 2042, a surpris de nombreux observateurs occidentaux.
[10] Allié des Etats – Unis pendant la guerre d’Afghanistan et ancien membre du GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan et Moldavie), organisation favorable à l’Otan.
[11] RBK-DAILLY 26-9-2008, in Jeffrey, Mancoff, Russian Foreign Policy, Rouman and little field, New York 2012.