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1 mai 2012 2 01 /05 /mai /2012 16:32
Iakounin

Le Président de la compagnie des chemins de fer russes confie au Courrier de Russie la façon dont il compte augmenter le niveau d’investissement dans les infrastructures de transport et les thèmes qu’il aborde avec Vladimir Poutine quand le chef du gouvernement l’appelle tard dans la nuit. 

 Le Courrier de Russie: La compagnie de chemins de fer russes (RZhD) a beaucoup de projets de collaboration avec la France. Il s’agit aussi bien du lancement des lignes Moscou-Nice et Moscou-Paris que de la construction de matériel roulant ferroviaire en partenariat avec le groupe Alstom. Pourquoi, personnellement, considérez-vous important de développer les relations avec la France plutôt qu’avec un autre pays d’Europe ?

Vladimir Yakounine : En tout, il doit y avoir une motivation personnelle. J’apprécie la langue française depuis que je suis enfant. À une époque, j’avais même progressé significativement dans son apprentissage. Je pouvais de façon tout à fait passable expliquer à un touriste français égaré le chemin de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Au-delà de ça, à l’époque soviétique, la génération à laquelle j’appartiens a été éduquée dans la littérature française. Exactement de la même façon que les Français lisaient Tolstoï, nous lisions Maupassant et Zola et assimilions ces ?uvres comme une partie de notre culture propre.

Pour en revenir à la collaboration avec la France aujourd’hui, et bien, il s’agit pour l’essentiel d’un retour à nos années de jeunesse et de la réalisation de choses que nous aurions dû faire il y a longtemps, mais qu’empêchaient diverses circonstances.LCDR

LCDR : À quel point des itinéraires comme Moscou-Nice et Moscou-Paris peuvent-ils être prometteurs économiquement ?

V. Y. : Il y a incontestablement une demande pour de tels itinéraires. Bien sûr, il est difficile, sur une année, de tirer des conclusions quant à la rentabilité du Moscou-Nice. Mais je peux dire en tout cas que les trains, tout au long de la saison touristique, sont complets. D’ailleurs, la demande la plus forte concerne les wagons de première classe et non les places qui coûtent moins cher. Ce qui nous signale la nécessité de changer notre mentalité. En Russie, en effet, les wagons les plus populaires sont les couchettes communes platzkart, qui n’existent même pas en Europe. Pourrait-on même s’imaginer des wagons platzkart en France ? C’est peu probable.

LCDR : Est-il question de lancer de nouvelles lignes entre les villes russes et européennes ?

V. Y. : À l’heure actuelle, des itinéraires nous relient à près de cent villes – pas uniquement françaises mais aussi italiennes, espagnoles, allemandes… Récemment, le prince de Monaco a même demandé que nous organisions aussi une desserte de la principauté. Et le 17 décembre dernier, le train Moscou-Nice faisait une halte à Monte-Carlo.

« A mon sens, ces prix ne sont, déjà, pas suffisants »

LCDR : Un billet de train Moscou-Nice coûte aujourd’hui 306 euros et le trajet Moscou-Paris 485 euros. Une démocratisation des prix pour ces destinations est-elle envisagée ?

V.Y. : À mon sens, ces prix ne sont déjà pas suffisants. Nous parlons tout de même d’un service, de repas pris sur l’ensemble du voyage. Nous ne nous contentons pas, en effet, de prendre l’argent des passagers et de le répartir ensuite. Nous payons pour l’utilisation des structures ferroviaires de chacun des pays que nous traversons. Nous payons pour les réservations. Tous ces éléments constituent le prix du billet. Concernant la démocratisation, j’ai des doutes. Évidemment, si tout le monde se décidait brusquement à voyager uniquement par le chemin de fer, cela se ressentirait sur le prix des billets.

LCDR : Les RZhD ont de nombreux projets de collaboration avec les pays européens. Qu’en est-il des projets de partenariat en Asie et en Afrique ?

V.Y. : Nous en avons également. Il s’agit notamment du développement des communications ferroviaires avec la Mongolie, de la construction de la ligne de chemin de fer Syrte-Benghazi en Lybie que nous envisageons de réaliser avec le nouveau gouvernement, de notre collaboration avec les pays du Golfe. Une collaboration cordiale en matière de transports ferroviaires avec l’Iran, notre voisin, est aussi essentielle pour les RZhD.

Bien sûr, la compagnie accorde une grande attention aux interactions avec les pays de la CEI. Grâce au travail du Conseil du transport ferroviaire, ces derniers ont des standards et une infrastructure unifiés. Selon les directeurs du Comité, c’est aujourd’hui la structure de collaboration bilatérale la plus efficace car elle permet de résoudre des questions aussi bien économiques et financières que d’ordre logistico-juridique.

LCDR : Quelle est l’incidence de l’entrée de la Fédération de Russie dans l’OMC sur le développement des RZhD ? 

V. Y. : Potentiellement, cela signifie que des transporteurs venus d’autres pays auront la possibilité d’opérer en Russie. Potentiellement, parce que malgré nos efforts pour développer une infrastructure commune avec l’Union européenne, il y a toujours des facteurs qui s’y opposent. Le bon sens dit qu’il est impossible de mettre en place une bousculade sur deux réseaux ferroviaires.

« Tout est déterminé par le vaste territoire de notre pays »

LCDR : Dans quelle mesure la politique étrangère de la Russie détermine-t-elle la nature des partenariats internationaux des RZhD ? 

V. Y. : Je vais vous répondre par une citation du Premier ministre russe, Vladimir Poutine, qui m’a un jour téléphoné, tard dans la nuit, depuis un train régional. Nous avons parlé du développement du transport à grande vitesse dans l’Extrême Orient, en Sibérie. Il m’a chargé d’une mission concernant son élaboration. Il a conclu par cette phrase, avec laquelle je suis en tous points d’accord : « Vous ne pouvez même pas vous imaginer l’importance géopolitique contemporaine des chemins de fer russes ». Tout est déterminé par le vaste territoire de notre pays. Territoire immense. Potentiel de transit élevé. Et pour cette raison, évidemment, nous influons, en tant que grande compagnie, sur la politique de notre État. Et indubitablement, nous exécutons des directives politiques, parce que notre propriétaire c’est la société, en d’autres termes l’État.

LCDR : Aujourd’hui, à l’heure où l’État est propriétaire à 100% des RZhD, le niveau d’investissement dans les chemins de fer russes est, de l’avis des experts, assez bas. Comment leur volume peut-il être augmenté dans un contexte de limites tarifaires strictes ? 

V. Y. : Nous essayons de répondre à cette question avec les partenariats privé-public. Nous avons récemment signé un accord avec la société privée Novatek. Le groupe a promis de nous accorder 30 milliards de roubles afin que nous construisions une infrastructure pour son entreprise. L’infrastructure sera propriété de la compagnie RZhD – ou de son propriétaire unique, l’État. État qui devra, quant à lui, définir la formule permettant de calculer un prix spécial pour le transport des chargements du groupe Novatek. Ainsi, les entreprises pourront voir combien leurs investissements sont justifiés et seront incitées à y prendre part.

« Je n’ai rien à prouver, je n’ai pas à me justifier »

LCDR : Vous avez déclaré dans votre blog que chaque entreprise russe devait s’efforcer d’améliorer l’image de la Russie, de briser les réticences psychologiques des investisseurs occidentaux. Comment les RZhD s’y prennent-ils ?

V. Y. : De façon très simple. Quand nous conduisons des rencontres internationales du type de la Conférence pour le dialogue franco-russe, nous présentons à la communauté occidentale le véritable visage de l’individu russe autant que de l’entreprise russe. Il s’agit, par notre biais, de présenter la politique que conduit notre gouvernement. La collaboration est impossible sans confiance. En Occident, on parle beaucoup de confiance mais on en accorde rarement aux autres. Les États occidentaux considèrent que les autres pays doivent se justifier, leur prouver quelque chose. Je n’ai rien à prouver, je n’ai pas à me justifier. J’ai appris toute ma vie un seul et même métier. Et je poursuis cet apprentissage. Je sers la société russe, ma famille, je m’efforce de me développer et tente de faire ce que je sais faire mieux qu’un autre. C’est là toute ma fierté.

Propos recueillis par : Maria Gorkovskaya

13 février 2012

 

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